lundi 17 octobre 2011

Gonzague Saint Bris raconte Balzac, le "dompteur de fauves"

Gonzague Saint Bris brosse un superbe portrait de ce titan des lettres,
aussi gargantuesque que fragile.

S'il n'avait vécu qu'une existence semée d'aventures et de fantaisies, si le plus excentrique et le plus bravache de nos écrivains, le batailleur romantique acharné à finir par la plume ce que Napoléon avait commencé par l'épée, n'avait légué que d'inoubliables formules -par exemple : "J'achève souvent une chaumière à la lueur d'une de mes maisons qui brûle" - et s'il n'avait fait qu'embrasser le vaste monde des passions, les réalités communes et le secret des êtres, avec une hardiesse et une ampleur inégalées, tous ces titres ne suffiraient toujours pas à expliquer la place unique que continue d'occuper Honoré de Balzac au panthéon des écrivains. Et il faut savoir gré à Gonzague Saint Bris d'avoir sculpté et animé son Balzac pour ce qu'il fut : un Alexandre le Grand des continents de l'imagination, un fainéant contrarié, car l'auteur de La comédie humaine (142 romans, 2 500 personnages et, de siècle en siècle, des lecteurs dans le monde entier) passa bien plus de nuits à se violenter au travail et à se doper (à coups de moka) qu'à jouir de la volupté à laquelle, pourtant, il s'était senti infailliblement promis, le premier "greffier de la société", ainsi qu'il se l'était figuré, à jeter toutes ses forces dans son grand oeuvre.

Balzac, haï par sa mère

Comment ne pas être remué par ce Balzac de sueur et de sang dont Gonzague Saint Bris sait nous faire entendre le souffle, sinon les ronflements ? Au fil de témoignages, parfois divergents sur tel ou tel point. Priée par son père, un diplomate russe, d'expliquer comment Sarah Lowell, la comtesse Guidoboni-Visconti, avait bien pu s'éprendre de lui, Sophie Kozlowska lui écrit : "M. de Balzac ne peut être appelé un bel homme, parce qu'il est petit, gras, rond, trapu ; de larges épaules bien carrées, une grosse tête, un nez à la gomme élastique, carré au bout, une très jolie bouche, mais presque sans dents, les cheveux noir de jais, raides et mêlés de blanc. Mais il y a dans ses yeux un feu, une expression si forte que, sans le vouloir, vous êtes obligé de convenir qu'il y a peu de têtes aussi belles. Il est bon, bon à mâcher pour ceux qu'il aime, terrible pour ceux qu'il n'aime pas et sans pitié pour les grands ridicules."

Alessandro Manzoni, célébré en Europe pour son roman Les fiancés, et que Balzac a rencontré 1837 à l'occasion d'un règlement de succession dont l'avait chargé le comte Guidoboni-Visconti, est moins indulgent. "Grand corps, grand nez, vaste front, cou de taureau, entouré d'une espèce de ruban qui figurait une cravate, oeil de dompteur de fauves, épaisse chevelure abritée par un grand chapeau mou, tête puissante remplie d'idées extravagantes, avide d'argent, perdu de dettes, plein de lui-même, il voulait paraître excentrique en tout pour faire parler de lui." Sans doute. Mais ce que ne pouvait soupçonner Manzoni, c'est à quel point Balzac devait en effet se remplir de lui-même pour tromper le mal que, à l'avoir totalement délaissé, lui avait infligé sa mère dont il disait : "Elle me hait pour bien des raisons. Elle me haïssait avant que je naisse." C'est pourquoi Balzac ne pouvait trouver la paix et qu'il inventa les "personnages reparaissants". Car, ainsi que le souligne Daniel Mendelsohn (cf. Si beau, si fragile, chroniqué ici même en juin ), toute histoire s'inscrit dans une histoire qui ne finit jamais.

Balzac, une vie de roman par Gonzague Saint Bris, 448 p., Télémaque, 22 €


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