samedi 22 janvier 2011

Adieu, Emilie

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Par Gérard Oberlé, publié le 22/11/2010 à 07:00

Ainsi donc, vous voilà marida avec votre golfeur, ma pauvre Emilie. Vous convolâtes en loucedé, ma chère, et la discrétion de cet hymen me stupéfie car elle ne colle pas du tout avec la solennité enrubannée de tulle des mariages bourgeois de province. Vous avez échappé à cette corrida, aux boîtes de conserve accrochées à votre bagnole, aux demoiselles d'honneur frisées, à la gaîté excessive des banquets interminables. Tant mieux ! Vous m'avez caché votre bonheur et je ne me serais jamais permis de vous parler de votre alliance carpoléporique, si je n'avais reçu un billet comminatoire de votre époux me priant fermement de ne plus envoyer de lettres ouvertes à sa femme. J'ai souvent lardé ce mariolle de mes brocards car il est de l'espèce que je blaire difficilement, mais puisque vous voilà unis pour le meilleur et le pire, je ne vous souhaite que le meilleur et obéis à son injonction. Ceci est ma dernière lettre. Je vous en ai envoyé soixante-quatre depuis notre rencontre dans le collège où m'avait invité votre professeur de littérature. Vous étiez en classe de quatrième et depuis ce temps, beaucoup d'eau a passé sous les ponts de la Loire. Vous êtes en quelque sorte ma nièce d'adoption et dans mon coeur vous occupez une bien plus grande place que mes nièces de sang dont le sort m'importe peu. Soyez heureuse, ma grandette ! En épousant ce banquier vous n'avez pas fait une fin. Il est coquet, bien peigné et bien ciré mais comme il est bien plus âgé que vous, il fera de plus en plus de sport pour garder sa souplesse. Le sport effréné est parfois mortifère. En encourageant la chose vous vous exposerez à la tentation du veuvage. Vous ferez, Emilie, une veuve des plus affriolantes. En attendant, faites comme l'ingénue Julie de la chanson de Mouloudji et "prenez, femme d'imbécile, autant d'amants que vous le voudrez". Mes petites chroniques mensuelles ne vous seront plus dédiées, mais je vais tout de même continuer à les envoyer à la revue Lire, une bonne raison pour vous de prolonger votre abonnement et de me retrouver impunément. J'évoquerai quelques livres oubliés, des auteurs dédaignés, des écrivains du second rayon, des bizarreries littéraires. Il me suffira de flâner dans ma bibliothèque pour dégoter curiosités, raretés, monstres et merveilles en tous genres. Par exemple, connaissez-vous lesAventures plaisantes de Madame Gaudichon et de son chien ?C'est un livre publié à Leipzig vers 1840 pour enseigner le français aux enfants allemands, un joli volume orné de seize gravures en couleurs adapté d'un célèbre recueil anglais paru en 1805. Madame Gaudichon (qui n'est pas madame Godichon, ce qui voudrait dire godiche, Gaudichon du latin gaudialis, réjouissant, précise une note), une veuve vieille et laide, n'a qu'un seul ami, son compagnon Zozo, un jeune et joli épagneul. Gigolpince espiègle mais madré, le Zozo a imaginé une combine infaillible pour tout obtenir de sa vieille maîtresse : faire semblant d'être mort. La Gaudichon qui revenait du boucher avec des friands et des saucisses pour son chéri trouve Zozo étendu sans vie au milieu de la cuisine. Désespérée, elle court en larmes chez le menuisier, commande un beau cercueil, puis rentre en soupirant rendre les derniers devoirs au défunt. A son retour, celui-ci est sur ses pattes et, pour se moquer de la malheureuse, fait mille gambades. Folle de joie, la rupine décide que rien n'est assez beau pour le ressuscité, de copieux morceaux de viande, le meilleur tabac pour sa pipe, des pintes de bière, grands vins, les fruits les plus succulents. Pour la remercier, Zozo fait le poirier, joue de la flûte et pour ses prouesses obtient chemises fines, bas de soie, costume à la mode, escarpins, chapeau à plume et perruque. "Comme il va être beau, comme je serai fière lorsque j'irai à la promenade avec lui !" se dit la généreuse rombière. Zozo passe son temps à boire, fumer, manger et se contempler dans un miroir. Gaudichon glousse de bonheur en le contemplant. Elle ne songeait qu'à le gâter et sans doute aurait-il obtenu une île exotique si ce genre de caprice l'avait titillé. "Mais hélas ! Zozo, le fidèle et intelligent Zozo, un jour de fête se régala si bien, qu'il mourut la nuit même dans les bras de sa pauvre maîtresse !" Une triste fin sans doute, mais non dénuée de morale. L'histoire ne dit pas comment Gaudichon s'est consolée. Facilement sans doute car les loulous de canapé sont plus nombreux que les grisonnes cousues d'or.

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