jeudi 19 mai 2011

La femme lion, d'Erik Fosnes Hansen

Rédigé par Cecile Pellerin, le mercredi 18 mai 2011 à 12h36


www.actualitte.com
Cette histoire aurait pu démarrer par « Il était une fois » tant elle ressemble à un conte, un conte fantastique scandinave, empreint de mystère et de tristesse, très beau. Par une nuit d’hiver glaciale mais lumineuse, parsemée d’aurores boréales,  « des lumières fusaient dans le ciel comme des tressaillements un peu douloureux » une femme chute dans la rue et déclenche alors, dans la douleur, son accouchement prématuré.

Elle succombe dans d’extrêmes souffrances et donne naissance à une petite fille, Eva, atteinte d’un syndrome très rare : l’hypertrichosis lanuginosa congenita. Elle est recouverte de poils, tel un félin. L’histoire se passe dans un village à peine nommé, sans doute imaginaire, là-haut quelque part en septentrion, au début XXe, à une date non précisée.

Le père, secoué par la mort de sa femme, reste d’abord indifférent à cet enfant si étrange, « il jeta un bref coup d’œil à l’enfant » s’en inquiète peu puis, au fil du temps, par touches secrètes, parfois maladroites, mais sincères, se conduit comme un père aimant (mais sans effusion), attentif et protecteur. « Il lui passe doucement la main sur la tête. Il ne l’embrasse pas, il ne le fait quasiment jamais ».

Le regard d’autrui, les croyances populaires tenaces le conduisent à créer un cocon pour sa fille duquel elle s’échappera en grandissant, notamment en entrant à l’école. Cet univers fermé, c’est d’abord une chambre, une maison d’où elle sort très peu puis il grandit, inclut la gare dans laquelle son père est chef, notamment la salle des télégraphes où Eva s’évade. « Les trains jalonnent la journée ».

Cette gare, lieu de passage et de départs, d’abord dans la ville de Fredheim pour Noël, plus tard vers un congrès scientifique international, en cure pour suivre son père fatigué ; voyages à la fois cruels et libérateurs, presque initiatiques. « Les longs voyages ont parfois cet effet sur les gens : dès que le train quitte le quai, c’est comme si la vie telle qu’elle est lâchait son emprise et ils découvrent la vie telle qu’elle devrait être, ils deviennent pendant un moment ceux qu’ils auraient dû être, ce qu’ils auraient pu être, ils sont libres ».

Dans les deux premières parties, le narrateur s’exprime à la 3e personne, mais de temps à autre, « je » s’immisce dans le récit et prend toute sa place dans la dernière partie. Lorsqu’Eva a la maturité suffisante pour s’exprimer, elle conduit elle-même le récit, fait part également de son journal intime et nous fait alors pénétrer au plus profond de ses sentiments, de ses souffrances, de sa solitude. « Lorsque tu te retrouves si seul au point que tu ne peux pas l’être davantage, bien vite c’est encore pire ».

Avec une sobriété et beaucoup de sensibilité, l’auteur a ôté de son récit tout misérabilisme, toute condescendance et fait de son personnage, une jeune femme humaine, bien plus humaine que ceux qui l’entourent et résolument belle dans sa différence. À aucun moment le lecteur n’éprouve horreur ou gêne, si ce n’est à travers les personnages secondaires, parfois vils et moqueurs, sans grâce. Il est juste troublé. Même les scènes d’exhibitions scientifiques (qui ne sont pas sans rappeler l’histoire de la Vénus Hottentote) restent malgré tout pudiques et dignes.


C’est un portrait de femme avant tout. Un récit d’initiation d’une jeune fille douce et sensuelle, fragilisée par le désir et le plaisir, en quête de normalité tout simplement. Et qui doit se contraindre, se restreindre sans cesse dans ses sentiments comme si sa différence lui interdisait d’être simplement humaine. Le regard des autres, notamment les enfants de l’école est quelquefois douloureux, «  Ma propre compagnie était de loin préférable à celle des autres enfants », mais l’auteur ne sombre jamais dans l’excès, ne juge ni ne condamne.

Il est le témoin d’une identité qui s’affirme, se construit, s’épanouit au-delà même de la souffrance, du doute et de la peur. Un superbe portrait de femme, presque allégorique dans la scène finale, incongrue et brusque (peut-être la plus violente du roman), tellement indigne, annonciateur peut être d’événements encore plus noirs dans une société où la nature humaine a perdu sa conscience et a sombré dans une folie monstrueuse.

Traduit par Alain Gnaedig du norvegien

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire