mardi 22 février 2011

La Prisunic propose de mettre à mort les libraires

Ou, à défaut, de les soumettre définitivement aux volontés de Google, Amazon et Apple...

Rédigé par Nicolas Gary, le mercredi 16 février 2011 à 16h42



Les commentaires ne sont pas tendres. Le vote de la loi sur le Prix Unique du Livre Numérique n'aura jamais aussi bien mérité son sobriquet de Prisunic, mais plus encore de prix inique.

Interrogé par France Inter, le président du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels, Jean-Luc Treutenaere, et directeur des produits éditoriaux chez Cultura, enfonce le clou sur les discussions. En effet, le SDLC avait estimé qu'en l'état la loi privilégiait les revendeurs situés hors du territoire français. Et pour cause...

Considérer que cette loi puisse introduire « une différence de traitement entre les libraires français et étrangers » est une attaque sauvage contre les sociétés du pays. (notre actualitté)

Que l'on se mette au clair : avec Prisunic, tout vendeur basé en France se verra imposer un prix unique pour les ebooks qu'il vendra. À la différence des vendeurs étrangers - rappelons qu'Amazon est situé au Luxembourg, et doit déjà sabrer le champagne - qui n'auront qu'une relation contractuelle, à travers le contrat de mandat. Une version contractuelle du prix unique, mais qui est établi en fonction d'une grille tarifaire et après négociation entre les acteurs, éditeurs et vendeurs.


Pour Jean-Luc Treutenaere, ce type de relation implique nécessairement que des rapports de force peuvent jouer. Et dès lors, avec les acteurs de grande envergure que sont Apple, Amazon et Google, il est possible que l'on assiste « à une best-sellerisation », voire une réduction de l'offre, qui pèsera sur les éditeurs et sur les auteurs.

La situation ne s'arrête cependant pas là : au sortir de la séance de l'Assemblée, plusieurs réactions convergeaient, évoquant, qui un projet complètement déséquilibré, en faveur des éditeurs, qui une imposture - jamais, contrairement à ce qu'Hervé Gaymard a pu dire, Hachette n'a imposé le contrat de mandat à Amazon ; c'est Apple qui l'a sorti de son chapeau pour prendre des parts de marché à Amazon, ni plus, ni moins.

Cuisine et dépendances

Ce qui est plus inquiétant, c'est que, soucieux de défendre la chaîne du livre, Hervé Gaymard vient d'ouvrir la porte à la mort pure et simple des librairies. Prends ta tête à deux mains mon cousin : les libraires nationaux, pour qui le prix unique sera imposé, devront nécessairement faire face à une concurrence déloyale, vis-à-vis des revendeurs étrangers. Explications.

Comment sera fixé le prix, dans le cadre du contrat de mandat ? Par des négociations commerciales. Qui, finalement, finiront par imposer, indirectement, le prix que les éditeurs fixeront pour la vente sur le territoire. En somme, Google, Apple et Amazon établiront le prix de vente. Ce qui est amusant, c'est que le contrat de mandat, contrairement la loi PULN n'a jamais eu pour vocation de préserver la diversité culturelle.

Or, chose plus drôle encore, ces mêmes gros acteurs, tant redoutés, vont finalement vendre sur le territoire français. Eh oui. Pour être concret : 1001libraires.com sera soumis à la loi PULN, là où Amazon jouera sur un contrat de mandat. Tout cela est bel est bon. Mais voilà : si dans un an, le trio américain décide de casser les prix, en renégociant fortement les tarifs de vente, parce qu'ils ont le pouvoir commercial de l'imposer ?

Tonton, tu tousses ?

C'est bien là tout l'enjeu : les éditeurs auront-ils les reins assez solides pour tenir tête aux marchands qui leur diront que désormais, un ebook vendu par leur soin, dans le cadre du contrat de mandat, est facturé 9,99 € ?

Mieux : que pourra faire une plateforme française, ou un libraire, si Apple vend à 9,99 € son ebook alors que la loi PULN lui impose un ebook à 18,26 € (oui, 20 % de mois que le prix du papier...) ? Eh bien, sans l'accord de l'éditeur, il ne pourra pas pratiquer de remise, et donc pas s'aligner sur le prix de vente des trois marchands. Chose impensable : Amazon vendrait 9,99 € là où 1001libraires.com serait tenu à 18,26 ?

Dans cette hypothèse, les éditeurs devront alors plier et accepter d'accorder aux revendeurs situés sur le sol français de s'aligner sur les prix des trois oligarques. Oui, très bien... mais de s'aligner sur les tarifs qu'imposeront finalement les Américains...

Pour l'heure, les différents acteurs concernés attendent le retour devant le Sénat de la loi, qui doit encore passer devant une commission. Et personne ne compte laisser passer la chose aussi facilement...


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